Danièle Edo-Paladini

Expérience de groupe de parole à l’école.


(Témoignage écrit pour le trait d'Union :)
En 2007 la directrice d’un groupe scolaire de Nouvelle Calédonie m’a demandé d’intervenir auprès des CM2 afin de lutter contre les incivilités et la violence à l’école, j’ai tout de suite pensé à animer des groupes de paroles avec la classe entière en présence de l’enseignant.

J’avais déjà animé des groupes d’éducation à la non violence au sein d’une école mais avec des petits groupes de 8 élèves en suivant une programmation avec des supports, là je me lançais, forte des 3 ans de vécu de groupe en formation ACP dans la gestion de grands groupes (19 élèves) non directifs.

Mes objectifs étaient doubles ;
§ Donner la parole aux enfants, afin qu’ils renforcent leurs compétences relationnelles, et
§ Apporter une compétence à l’écoute aux enseignants.
Quatre classes de CM2, chacune d’un effectif de 19 élèves ont été concernées.
Quatre séances d’une heure par classe se sont échelonnées durant l’année scolaire, une évaluation a été proposée aux élèves et aux enseignants.(5ème séance)
Voici des éléments du projet proposé à l’école :
Déroulement des activités « cercles de paroles »:
§ Présentation
§ Dans les groupes l’animatrice assure, dans la confidentialité :

L’accueil sans réserve du contenu de celle-ci,

* La libre circulation de la parole,

o La reformulation qui permet le cheminement des idées.
Ce qui est attendu à l’issu du vécu de groupe :
§ Du côté des élèves :
o La clarification de leur ressentis,
o Le renforcement de la solidarité et de la tolérance
o Une plus grande autonomie.
o Un accroissement de l’estime de soi et du respect de l’autre.
§ Du côté des enseignants :
o Une plus grande confiance dans la capacité du groupe à résoudre ses problèmes.
o Une capacité accrue à accueillir la parole des enfants.
o L’utilisation d’outils permettant le développement affectif et social des élèves.

Les parents ont été informé par la note suivante :

Pour aider les élèves de CM2 à développer des aptitudes relationnelles, une intervenante extérieure, formée à l’écoute et à la médiation, animera cette année 5 ateliers « cercle de paroles » avec le concours de l’enseignant de la classe.

Une présentation a été faite en début d’année à l’ensemble des enseignants du groupe scolaire, ainsi que l’évaluation en fin d’année. Les enseignants des classes concernées ont pu échanger régulièrement avec moi..

Ce fut pour moi une expérimentation.
Pouvait-on mener des groupes non directifs avec des enfants de 11ans ?
Peux- t-on le faire à l’intérieur de la structure scolaire ?
Y aurait-il un impact sur le comportement des enfants, sur celui de l’enseignant qui assistait aux séances, les vivait, tout en étant à l’extérieur du groupe, comme témoin. ?

L’évaluation faite en fin de parcours a répondu partiellement à mes questions, mais dès la première séance la réponse à la 2ème question était là.

En effet, pour les 2 premières classes, certains élèves ont évoqué des thèmes tristes concernant la mort, la maladie de proches et très vite quasi la moitié de la classe pleurait.
Je ne fus nullement effrayée de cette situation car je connais, pour l’avoir vécu le processus du groupe et j’ai confiance en ce processus.

Mais l’institution ne l’a pas vécu ainsi : la psychologue scolaire m’a fait remarquer qu’il était nécessaire d’être à deux pour ce genre de travail, car si un élève pleure, une personne sort avec lui et l’autre reste avec le groupe ; cela évite la contagion émotionnelle.

Bien sûr moi, je ne vois pas les choses ainsi et une fois de plus c’est le vécu de groupe qui nous permet, à nous les pratiquants de l’ACP de vivre sereinement l’émotion à plusieurs, on sait même que cela est loin d’être néfaste pour le groupe.

Certains enseignants aussi étaient effrayés, j’ai donc pris en compte ces données institutionnelles et j’ai mené les groupes suivants en fixant un thème « la violence » afin d’éviter ce que l’institution vit comme des «débordements».

Les objectifs et consignes qui étaient données et redites à chaque fois aux élèves étaient les suivantes :

§ Les groupes servent à :

· Mieux se connaître, (apprendre à parler de soi)
· Apprécier les autres, (apprendre à écouter)
· Construire la confiance en soi,
· Faire confiance aux autres.

Cette démarche s’appuie sur le programme pour l’éducation à la non-violence et à la paix établi par la Coordination française pour la Décennie. La Décennie est l’émanation d’une Résolution (53/243) sur une culture de la paix adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 13 septembre 1999. (à consulter sur le site : www.decennie.org )

le déroulement des séances :

Les séances se sont étalées tout au long de l’année scolaire, à raison d’une heure par séance et de 5 dans l’année, la dernière étant consacrée à l’évaluation. Le temps entre chaque séance était donc assez long ( environs 7 semaines).

Lorsque je revenais dans une classe, je reformulais les objectifs et consignes et résumais brièvement, (à partir de mes souvenirs et des notes prises lors des séances par les enseignants) les thèmes abordés lors de la séance précédente.

J’ai pu alors remarquer des évènements spécifiques pour 2 classes :

Pour l’une ce fut :

Ø Un élève qui auparavant passait beaucoup de temps à taquiner les autres, avait changé de comportement au dire des autres. (témoignage lors de la 2ème séance.)

Ø Un changement notable des relations entre eux et en particuliers des relations garçons –filles, celles ci s’étaient nettement améliorées et les élèves témoignaient de leur contentement à être « devenus amis, à ne plus avoir honte de jouer entre garçons et filles. » (témoignages lors de la 3ème séance.)

Pour l’autre classe qui avait beaucoup évoqué la marginalité d’une élève, (enfant plus jeune car en dérogation d’âge, très bonne élève, européenne dans une classe d’océaniens) ; je remarque qu’à la 3ème séance cette question n’est plus abordée, interrogeant l’enseignant il me dit que cette élève est maintenant intégrée.

L’évaluation :

Lorsqu’on travaille en institution l’évaluation est indispensable, j’ai dû la construire de toute pièce.

En ce qui concerne les élèves je me suis basée sur les compétences relationnelles listées dans « le programme pour l’éducation à la non violence et à la paix » établi par « la coordination française pour la Décennie. » ce qui a donné lieu au tableau suivant :

A noter la dernière phrase que j’ai conçue pour évaluer une potentielle corrélation entre les progrès dans les compétences relationnelles et le désir d’apprendre et qui a été entendue autrement par les élèves.
Ceux-ci ont compris : «j’ai envie de continuer à acquérir ces compétences, donc à poursuivre les groupes de paroles.»

Fiche donnée aux élèves :


Cercles de paroles 2007, groupes élèves, Evaluation.


Ecole : ………………………………………..Classe :……………………………âge :…………


Légende : pas beaucoup : - moyennement : + beaucoup : + +

Ce que j’ai appris dans le cercle de paroles :

A découvrir mes qualités :

A accepter mes limites :

A avoir plus confiance en moi :

A reconnaître mes émotions, mes sentiments, mes besoins.

A accepter les différences :

A comprendre les autres :

A exprimer ce que je pense :

A écouter les autres :

A mieux me sentir dans le groupe :

A me sentir responsable de mes actes et de mes paroles :

A me sentir solidaire dans le groupe :

J’ai plus envie d’apprendre :

Autre chose que je peux dire :
(ici les élèves étaient invités à écrire leurs commentaires.)


Réponses des élèves et analyse :

o Ils ont répondu par les codes ++, +, -, à 12 questions regroupant des compétences relationnelles :
o Centrées sur soi ; (4 premières phrases)
o Centrées sur l’autre ; (4 suivantes)
o Centrées sur le groupe ; (3 suivantes)

Ø Point commun aux 4 classes : le fort pourcentage de ++ attribués à la dernière phrase qui semble témoigner de l’intérêt porté par les élèves à cet « enseignement ». (voir graphique ci dessous.)

Les élèves nous disent par cette réponse : « nous avons envie de poursuivre cet apprentissage relationnel ».

C’est pour moi la révélation de cette expérience : le besoin ressenti par les élèves d’acquérir au sein de l’institution scolaire des connaissances et compétences relationnelles et sociales.

A noter que le dispositif « Décennie » milite en faveur de « l’introduction officielle de la formation à la non violence et à la paix à tous les niveaux du système éducatif français.»
(voir la campagne lancée par la Décennie sur www.decennie.org )

Ø Pour les autres points chaque classe a apprécié des items différents :

o CM2 A :
· avoir plus confiance en moi
· Comprendre les autres
· Me sentir mieux dans le groupe. Ces 3 items sont à égalité de ++
· Compétences centrées sur le groupe et compétences centrées sur l’autre à égalité.
(il s’agit d’une classe qui a vécue sereinement les groupes, sans évènements notables.)

o CM2 B :
· Reconnaître mes émotions en tête ; puis à égalité :
· Accepter les différences et comprendre les autres.
· Beaucoup de compétences centrées sur le groupe.
(pour cette classe qui a vécu plusieurs changements d’enseignant et qui vivait un problème de discipline, j’ai fait 2 séances supplémentaires centrées sur ce que chacun pouvait faire pour améliorer l’ambiance de la classe.)

Ø CM2 C :
· Ecouter les autres suivi de près par :
· Reconnaître mes émotions.
· Ce sont les compétences centrées sur soi qui sont les plus hautes.
(Il s’agit de la classe qui a réglé le problème de marginalisation d’une élève différente.)

o CM2 D : accepter les différences.
§ Beaucoup de + pour l’ensemble des compétences centrées sur le groupe.
Il s’agit de la classe qui a profondément modifié ses relations garçons filles.)

Evaluation faite par les enseignants :

J’ai demandé aux enseignants de répondre par écrit aux questions suivantes :

Ø Ce que m’ont apportés les cercles de paroles :
o Connaissance du groupe classe :
o Connaissance individuelle de mes élèves :
o Eventuellement, conséquences sur la gestion de la classe :
o Personnellement :
o La dynamique du groupe classe a t elle été influencée par les groupes de paroles ?

Voici une synthèse des réponses :

Ø CM2 A :
« La classe était facile, les enfants sont restés disciplinés, il est dommage qu’à part certains enfants la classe se soit peu livrée.
Il faut faire attention à s’en tenir au thème de la non violence car lorsque les enfants abordent des thèmes plus personnels, c’est lourd à gérer. »

Ø CM2B :
« j’ai beaucoup appris en assistant aux groupes. »
Il y avait un problème de discipline dans la classe, ils ont eu envie que ça s’améliore.
« On a rappelé dans la classe les règles de prise de parole et de respect abordées dans les cercles de paroles. La dynamique de la classe a été moyennement influencée. »

Ø CM2 C :
Cela a permis de régler le problème d’une élève prise à partie par la classe, « elle avait du mal à s’intégrer, elle était jugée par les autres, elle a exprimé son stress, il y avait une pression que les autres ne comprenaient pas, ils l’ont ensuite acceptée. »
« Il faut faire des séances plus rapprochées et cibler les classes qui vivent un problème d’intégration dans le groupe. »

o CM2 D :
Il y avait 2 enfants dans la classe qui provoquaient beaucoup de moqueries et qui ont été par la suite bien intégrés ; de plus les problèmes de rivalité et moqueries entre fille et garçons ont cessé et ils sont devenus : « super solidaires ».

L’enseignante dit qu’elle a pu « gérer les petits conflits dans la classe dans un climat serein grâce à ce qu’elle a pu observer. » Elle dit avoir acquis plus d’écoute, ce qui lui a servi pour le projet avec les parents et dans les réunions, et aussi à gérer des conflits entre élèves en dehors de sa classe.

En conclusion :

1. Si je dois renouveler l’expérience, je pense qu’il faudra rapprocher les séances dans le temps.

2. Lorsque l’enseignant tire personnellement parti de ce qu’il observe dans le cercle de parole, les effets sont décuplés et s’étendent au delà de la classe.
Pour une classe, dont l’enseignante a dit dès la première séance avoir été touchée par ce qui s’est dit dans le groupe, les effets ont dépassé le groupe classe. En effet cette enseignante a témoigné lors de l’évaluation de l’impact des séances sur sa qualité d’écoute tant des enfants que des adultes. Sa classe a été remarquée par le directeur de l’école, la cantinière et l’inspecteur comme un groupe solidaire et responsable.

3. l’item « j’ai appris à plus exprimer ce que je pense » est assez bas, cela témoigne de la difficulté à s’exprimer spontanément dans un grand groupe, même si je suis persuadée qu’on apprend beaucoup en écoutant, il sera nécessaire de plus solliciter la parole de certains car travailler en sous groupe casserait la dynamique de la classe.

Danièle EDO-PALADINI